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Sombra

Rien ne s’est passé comme prévu.

« No rain, no rainbow ». J’avais déjà le titre de l’article. Même le contenu, ce qui en dit long sur mes capacités de projection.

J’allais vous raconter la liberté. Celle qui fait vibrer et envoûte, celle qui permet d’oublier les compromis, les conditions, les normes. J’allais vous raconter comment la nature me ressource et me guérit, à quel point la beauté de l’être humain n’est pas là où on l’imagine. J’avais même les photos en tête ; les corps nus qui ondulent au rythme du feu sacré, les yeux qui racontent des histoires secrètes, les rêves qui se dessinent dans les airs.

Je me suis trompée. J’avais un souvenir idéalisé d’un monde dans lequel je suis une Sister épanouie, une femme qui peut vivre sa féminité pleinement sans se soucier du regard des autres, sans se soucier des diktats, sans se soucier de rien en fait. Mais je ne retrouve pas cette magie. Je ne me sens pas à ma place parmi ces dreadlocks puantes et ces sarouels troués. Je ne sais pas quoi faire de mon corps. Je n’ai envie de parler à personne. J’ai l’impression d’être dans une mauvaise télé-réalité qui mixerait l’île de la tentation et Koh-Lanta. Sauf que rien n’est franchement tentant. En revanche, on bouffe bien du riz à n’en plus pouvoir et bout de trois jours, la communauté des brothers et des sisters est malade à en crever. Ça tient plus debout, pas pratique pour le chien tête en bas. Les shit pit sont immondes et je plains les malheureux dont les délires ne tiennent pour une fois pas du LSD. Par chance, Rémi est toujours dans les parages pour me faire rire. L’habitué des Rainbow ne trouve pas non plus son compte ici, nous passons donc de longues heures à débattre, à chercher à comprendre, à discuter de cette communauté extraordinaire mais dont les failles me paraissent soudainement être des gouffres sans fin. J’adhère à toutes ces valeurs merveilleuses mais ici, dans ce terrain foireux entouré de barbelés, rien ne va. Ça n’est pas bon le bon moment pour moi. Pas le bon endroit. Pas les bonnes personnes. Je n’en ai pas fini avec les Rainbow, je sais que c’est un lieu de libertés unique, je sais que je reviendrai et j’ai même hâte. Mais j’ai besoin de me recentrer, de réajuster mes envies et rêves.

Je pensais avoir trouvé ma communauté, mon monde, mes frères et soeurs mais il faudra accepter l’inacceptable : je ne fais pas partie de ce groupe, pas plus que celui auquel je m’identifiais quand j’étais en France. Je ne fais partie d’aucun groupe. Je les embrasse pourtant tous.

Après une semaine sous un soleil délirant, je replie ma tente, soulagée et excitée par l’idée de la douche et de vraies toilettes. Je fais coucou aux hippies écrasés au sol tels des cachalots déguisés en Bob Marley. Pas besoin de câlins, allez, salut les zinzins.

J’arrive à San Cristobal épuisée. Le Rainbow devait me ressourcer, je suis vidée. Après une première journée loin de la jungle, le constat est sans appel : je suis malade. Je pensais avoir échappé aux parasites mais il n’en est rien. Je passe mes nuits sur les toilettes et je remercie l’univers de ne pas m’avoir rendu malade au Rainbow, je ne veux pas imaginer ce que ça aurait été. Ironie du sort : c’est Camilo, un Argentin plus hippie que le dernier hippie d’Amérique qui me soigne à base de plantes. J’obéis à la lettre, je fais tout ce qu’il demande : je mâche, gargouille et bois consciencieusement toutes les concoctions étranges et infâmes qu’il me donne. Je le sens profondément impliqué dans ma guérison, il vient me voir toutes les heures pour vérifier mon état et me gronde gentiment quand je mange autre chose que du riz. Je suis tellement heureuse qu’il soit là, que quelqu’un s’occupe de moi. Je suis affaiblie, chaque geste, aussi simple soit-il, est douloureux, je suis clairement dans un sale état.

Mon état mental diminue au même rythme que mon poids. Je n’ai plus envie de rien, l’obscurité s’empare de moi, je me sens seule et vide. J’essaye d’écrire un article mais tout ce que j’arrive à faire, c’est écrire pour moi. Ecrire mes pleurs, mes manques, mes souffrances. Ecrire ce noir qui n’a jamais été si sombre.

Rien à faire sauf d’avancer clame Orelsan. Je pleure quand je l’écoute, ça me fait du bien. Je pleure quand je me réveille, encore une journée à combattre. Chaque action me coute mais je sors quand même de mon lit, je vais quand même marcher, je fais quand même du yoga. Je photographie dans la douleur mais je photographie et ça m’aide, je le sais au fond de moi. Je rencontre des Mexicains merveilleux qui illuminent mes journées. Mais le soir revient. Le matin aussi.

J’ai bien conscience du cercle vicieux dans lequel je me trouve, j’ai bien conscience que mes pensées transforment l’image que j’ai de moi, de ce que je vis. Mais je ne médite plus depuis un moment, je ne sais plus comment me défaire de ces pensées, ces fausses informations que mon ego blessé émet en permanence. C’est le brouillard, le putain de brouillard. J’ai envie de m’engloutir sous les couettes, tout laisser tomber, foutez moi la paix.

Mais je ne laisse pas tout tomber. Parce que les braises brûlent encore et qu’une ultime et étrange énergie me donne la force d’avancer.

Concernant mes parasites, je suis guérie. Encore faible mais guérie, merci Camilo. Prête à affronter mon stage de yoga. Mazunte, me voilà.

Il y a trois ans, j’étais tombée en amour avec Mazunte, ce petit village poussiéreux qui borde le Pacifique. Mais en trois ans, j’ai changé et Mazunte, encore plus. Les retrouvailles sont chaudes mais pas chaleureuses. Je ne retrouve pas l’atmosphère qui m’avait tant plu. Il y a du monde, du bruit et l’énergie me laisse un drôle de goût dans la bouche. Qu’importe, je ne suis pas là pour là pour faire la fête ou fumer des joints jusqu’à pas d’heure. Je suis là pour tenter de me retrouver mais surtout me perdre dans cette pratique que j’aime tant, qui me procure un bien être inexplicable : le yoga.

Je partage ma chambre avec deux personnes. Christopher, un Américain d’une cinquantaine d’années, crâne dégarni et allure timide. Matilda, une belle Allemande que j’avais rencontrée à San Cristobal, le monde est petit, celui des voyageurs au Mexique, je vous explique pas. Le dortoir est moisi, les moustiquaires sont trouées, les lits superposés bougent au moindre mouvement, on se croirait dans un foutu bateau en pleine tempête. Bien sûr, on se coltine scorpions, araignées et attaques de fourmis géantes.

Le stage de yoga ne se passe pas non plus comme prévu. Décidément. Il serait peut-être temps d’arrêter de faire des plans; on dirait que ces derniers ont tendance à prendre la flotte. Comme mon lit.

La première semaine me fait du bien, elle me calme et m’apaise. Et puis les choses se compliquent, cette ombre, celle des matins difficiles et des soirées sombres, plane à nouveau au-dessus de moi. Elle est moins dense mais elle est là. J’ai peur, mes angoisses reviennent de temps en temps malgré le pranayama, les méditations matinales et les postures tenues pendant d’interminables minutes. J’ai l’impression que ce tunnel est sans fin. Mais comme souvent, j’ai de la chance. Et cette fois, ma chance elle s’appelle Matilda.

Matilda et moi, on s’aime tout de suite. Je l’avais déjà repérée sur le toit du El Nagual avec son houla hoop qu’elle faisait tournoyer dans les airs. J’avais eu envie de la photographier, capturer l’agilité qui émanait de ses gestes maitrisés, la beauté de son visage mystérieux. Mais nous nous en étions tenues à quelques conversations basiques de voyageurs. Puis soudain, nous voici réunies dans cette chambre délabrée, nous, les deux âmes en peine, les deux oiseaux blessés. Je ne sais pas comment ça se produit mais l’on devient inséparables. C’est Matilda et Marion, Marion et Matilda. Je n’ai envie de personne d’autre. Nous ne sommes pas dans le même module de yoga, le mien m’octroie plus de temps libre et les moments sans elle sont longs. On ne va pas vraiment bien mais on se fait tellement de bien. Elle est ma lumière et il y a des journées que je ne pourrais surmonter sans elle. Nous parlons tout le temps, nous parlons des heures durant, des heures qui n’en finissent pas, des heures qui s’étirent dans un temps qui n’existe plus, qui n’existe de toutes façons, pas. Nous nous comprenons sur tout, nos regards sont furtifs mais d’une intensité que seules nous percevons. On se câline sans limite, je sèche ses larmes, apaise ses doutes, elle fait pareil. On se demande toujours si ça va et on répond toujours la vérité. On sociabilise parfois avec les autres yogis qui sont vraiment cool mais on en revient toujours à nous deux.

Nous essayons les activités spirituelles que nous propose Mazunte. Au programme, Ecstatic Dance, cérémonies de cacao et tout le tintouin. Mais vous l’avez compris, les hippies me sortent par tous les trous. Enfin, surtout les hippies de Mazunte. Je ferai un article à ce sujet parce que sinon, j’en ai pour la nuit mais en bref : je ne supporte plus ce néo colonialisme, cette prétendue « conscience » qui n’a en fait conscience de rien ; ni de la pauvreté du Mexique, ni de sa beauté, une conscience qui ne cherche ni à comprendre les locaux ni à les entendre. Mazunte me donne parfois la gerbe. Matilda, plus en douceur comme toujours, est d’accord. C’est un sujet qui nous anime et nous veillons de longues nuits à refaire le monde, celui des hippies et puis tout le reste.

Parfois, on se tait aussi. Comme cette fois, sur la magique plage de Punta Cometa. La lune est pleine, elle nous éclaire avec grâce et mystère . Nous sommes seules, les derniers visiteurs s’en sont allés. Seules, seules au monde, les yeux plongés dans cet océan aux lignes infinies. Seules avec ce silence, seules avec nous. Seules pour toujours. Je la prends dans mes bras et on s’enlace comme ça, dans ce silence qui m’enivre. « Why having a thousand friends when we can have only one amazing ? » Cette phrase qu’elle a prononcé la veille me revient et l’émotion me submerge. En ce moment précis, je n’ai plus peur, je n’ai plus besoin de rien. La nature, grandiose et rassurante, le géant silence, et Matilda, ma Matilda.

Jour 19, le stage de yoga touche à sa fin et je suis mitigée. Je ne sais pas trop comment je me sens. Tous les autres yogis semblent transformés, pas moi. J’ai adoré plein de moments mais j’avais certainement trop d’attentes. Je voulais revivre ce que j’avais vécu en France, cette vague d’amour délirante, cet éveil spirituel fantastique. Ce ne fut pas le cas.

Chaque expérience est unique, il faut s’y faire. On tente de reproduire un truc, ça foire et on apprend j’imagine. Il faut tomber, il faut du temps et beaucoup de patience.

Une dernière soirée improvisée sur ma plage bien aimée Punta Cometa vient conclure le stage dans une atmosphère divine.  

Nous dansons des heures sur le sable mou. Pour une fois, nous troquons mantras et chants célestes contre une bonne vieille enceinte des familles qui nous balance du Moderat et Frankie Knuckles. Quelle joie. Je me déhanche comme jamais, je souris, et souris encore, ne m’arrête pas de sourire. Soudain, dans cette obscurité dense, je sens l’appel de l’océan, puissant et vital. Je fonce, nue, je cours et me jette dans les vagues agitées. Je me sens comme une enfant, j’ai peur et je ris. Plus rien n’a d’importance, l’océan me retient. Je remarque soudain les planctons bioluminescents qui illuminent l’étendue noire. C’est magique, ça a l’odeur du renouveau, de l’espoir. Je reste seule encore un peu, un tout petit peu, dans ce noir qui ne me fait plus peur. Quelques filles finissent par me rejoindre, jetant leurs maillots de bain dans les airs. On hurle et on rit si fort.

Je lève la tête sans cesse, hypnotisée par les étoiles.

J’exulte.

Ce moment spécial que je n’oublierai jamais vient m’ancrer dans le moment présent et me rappelle que je suis exactement là où je dois être. Tout va aller. Je vais trouver. Je vais me trouver.

Ce début de voyage était chaotique, je ne pensais pas que ça serait si difficile, je voulais que tout soit résolu parce que c’est ce que le voyage fait normalement. Il résout tout. Mais cette fois, je le sens, il ne s’agira pas juste de partir. Ça ne sera pas le même voyage que le précédent parce que je l’ai compris maintenant : chaque expérience est unique, chaque moment l’est aussi. Et ces nouvelles expériences, parfois décevantes, me guident et me rapprochent de qui je suis, ce que je veux. J’ai un nouveau regard, des nouvelles valeurs, une nouvelle vision et surtout : une nouvelle quête. Un nouveau voyage.

Alors ça y’est. Je suis prête. 10 jours assise en silence. Méditer, respirer, m’écouter. Oui, je suis prête.

Go.

// A SUIVRE //

4 commentaires sur “Sombra

  1. Je viens de découvrir ton blog et je lis cet article !
    J’ai l’impression d’arriver à voir ce que tu ressens a travers tes mots. J’en ai eu plusieurs fois des frissons!
    Je te souhaite la force et l’amour !
    Love ma sœur

    J’aime

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