Journal de Las Colonias, partie 3

1.12.19

1er décembre nom de dieu. C’est l’anniversaire d’Anne Charlotte, une fille qui était avec moi au collège, une fille que j’admirais à la folie, une fille avec qui je n’ai jamais échangé plus de 10 mots. C’est drôle que je me souvienne de son anniversaire, c’est drôle la mémoire.

J’ai fini mon article sur la Comuna 13. En l’écrivant je me suis demandée si tout ça était bien réel, si c’était vraiment ma vie à moi. Ça m’a foutu le vertige. Comment retrouver une vie normale après ça ? Si tant est que je puisse définir la normalité. Il apparaît plutôt clair que je rêve d’une une vie nomade, pleine d’aventures et de choses extraordinaires. Je n’ai aucune foutre envie de passer mes semaines à travailler derrière un ordi et mes week-end à picoler pour oublier cette vie moyenne. Mais est-ce là bien réaliste ? Quelqu’un m’a un jour dit qu’il fallait se méfier du rêve. Puisqu’à force, l’extraordinaire devient banal, à quoi bon ? Et puis : qu’en sera-t-il au retour ? Quand il n’y aura plus de cocotiers, de sourires gratuits et de beignets bien gras ? C’est terriblement excitant de se jeter dans le vide mais aussi, très souvent, terriblement effrayant.

Sinon, à part mes questions existentielles, aujourd’hui :

  • Il est 18h, j’ai été épuisée toute la journée et c’est maintenant que je retrouve de l’énergie, que j’ai envie de produire, de créer. Ça me rappelle une artiste ASMR qui disait qu’elle n’était productive que le soir. Peut-être que moi aussi en fait. J’adore cette fille, elle a une sensibilité incroyable et raconte des trucs qui me parlent. Juste et hypersensible. D’ailleurs, au plus je me renseigne sur le sujet, au plus il me semble évident que je suis une hypersensible. Ça me rassure sur plein de côtés mais j’aurai aimé être autre chose quand même parce qu’on va pas se mentir : c’est super relou d’être hypersensible. Je suis toujours là, à pleurer pour un oui, pour un moi, toujours émue par tout et par rien, à avoir besoin de 3 ans pour me remettre d’une rupture quand les gens ont besoin de 3 mois, bref la liste est longue.
  • J’ai lu Shamtaram toute l’après-midi dans l’herbe pendant que les autres volontaires faisaient un Temazcal mais moi je ne pouvais pas à cause du tatouage. Qu’importe, j’en ai déjà fait un et en plus, j’ai passé une après-midi délicieuse. J’adore ce bouquin, j’ai eu si peur pendant l’attaque des chiens.
  • Marleny m’a missionnée pour photographier tous les morveux du quartier. Cette tâche me met en joie.

J’écoute Nicolas Jarr, Killing Time, cette chanson m’emmène si loin, me fait toujours un peu penser à PR. Et lui, il se passe quoi dans sa tête ?

2.12.19

PAIN PER-DU.

J’ai fait du pain perdu pour les gamins qui habitent à côté de chez Léa. Ils vivent dans un genre de cave, c’est triste mais aujourd’hui, on a rendu ça joyeux. On a vraiment ri, c’était super. Et ils ont adoré le pain perdu même s’ils n’arrivent pas à prononcer le nom. C’est tout de même pas sorcier !

J’ai longuement discuté avec Amélie dans la bibliothèque, un moment riche. Cette fille est super, je l’aime beaucoup.

J’ai envoyé les photos à Luz, j’espère que j’aurai le droit à un sourire pour l’occasion.

J’ai bien avancé dans les portraits des enfants. Leurs regards m’ont déstabilisée.

3.12.19

En termes de journée bruyante, on est au max. Voilà que je comprends soudainement les parents qui frappent les enfants. Mais non je ne le pense pas mais franchement, il y a des journées où je n’en peux juste plus, leurs braillements m’épuisent. Surtout qu’ici, ils sont complètement laissés livrer à eux-mêmes, personne ne s’en occupe, que ça soit les professeurs ou les parents. En même temps quand t’es parent à 15 ans, j’ai envie de dire, bon…

Ma « famille » joue au bingo, ça gueule et ça hurle, ça me rend marteau. Je sais pas moi, ils ont pas envie de jouer au scrabble par exemple ? Ou au roi du silence ? Oui c’est bien ça le roi du silence. En vivant ici, dans le bruit constant, dans la non intimité constante, je réalise la chance que j’ai d’avoir des moments à moi, de vrais moments. C’est si précieux.

Oh et il y a un bébé qui chiale bien entendu. Et Darwin qui gueule. Et Luz qui crie Mambo. Et Jairo qui applaudit comme un dératé, Jairo et ses yeux dégueulasses.

Putain de film, les gosses m’ont épuisée.

J’ai toujours mal au bras, c’est de pire en pire, c’est chiant.

J’adore la série que je regarde, Wild Wild country. Les hommes sont fous. Il faut que je retourne à la Comuna 13 pour me rappeler que pas tous.

C’est bientôt Noël alors on voit fleurir, un peu partout entre les maisons qui font la tronche, des sapins de Noël fabriqués à partir de bouts de bois, plastiques et autres déchets. Je ne sais pas si c’est franchement joli mais créatif, aucun doute : ça l’est ! J’adore leur capacité à inventer, créer comme si tout était possible.

Santiago est drôle avec sa nouvelle zouz. Il en change tous les trois jours. Ces gens légers, insupportables.

Le bébé gueule. Putain j’espère que ça va pas durer éternellement ce bingo à la con. Non parce que c’est pas comme si un rongeur avait bouffé les canalisations de la baraque et que Jairo avait fait des travaux jusque 1h30 du matin ou encore qu’un chiot avait pleuré toute la nuit ou encore que Darwin n’avait pas hurlé dès 6h du mat.

Ha, quelle douce vie de silence et de calme.

4.12.19

Juan, ce matin, m’a dit qu’il était triste parce que je partais vendredi. Ça m’a fendu le cœur. C’est fou ce qu’on peut s’attacher vite à cette petite marmaille. Oh ils me rendent folle chaque jour mais parfois, il suffit d’une parole, d’un sourire pour tout oublier. Je crois que c’est l’incroyable pouvoir des enfants. Comment leur en vouloir ? Ils ne sont que des gosses.

Moi aussi Juan je suis triste. Cet endroit, aussi merveilleux que complexe (et poussiéreux. Et bruyant), m’émeut tellement.

J’écoute Wildflowers en boucle, ça me rend folle.

C’est la première fois que je m’isole dans ma chambre en pleine journée. Mais, la fin arrivant, ma patience se réduit et je ne supporte plus ce bruit, je ne supporte plus ce manque d’intimité, je ne supporte plus cette poussière.

Pourquoi fait-on les choses ?

C’est bizarrement Geoffrey qui m’a poussée à cette réflexion. Je ne l’ai vu que 3 fois ce mec et il m’a ne pas clairement pas laissée indifférente. Pas dans le genre il me plaît mais plutôt dans le genre c’est quelqu’un que je n’oublierai pas, je ne sais pas pourquoi. Bon, en vrai, il m’a énervée. Je dois bien reconnaître. Je l’ai trouvé auto centré et beaucoup trop sérieux. Il joue le mec qui a tout compris mais on sait très bien que s’il agit comme ça c’est justement qu’il a encore beaucoup de choses à comprendre. Je crois que s’il m’a agacé à ce point c’est que finalement, je me suis un peu reconnue en lui bien que cela me fasse horreur de me l’avouer. Moi aussi, je fais la meuf qui sait tout. Et puis, quand on a parlé de son aventure, ses 2 jours dans le désert, il a avoué à mi mot que ce défi était avant tout pour impressionner les autres que pour lui-même. En tout cas, même si ça n’était clairement pas ses mots, il se posait la question : pourquoi je fais les choses en ce sens ? Pour moi ou pour les autres ? Parce que oui, faire l’aventurier, c’est stylé. Ça fait rêver et quoi de plus jouissif que de ressentir dans le regard de l’autre, de l’envie et de l’admiration ? Je me suis alors rappelée de la fois où j’avais eu la folle envie de parcourir les USA en autostop. Je trouvais ça dingue et j’avais déjà le titre de mon article. Jusqu’au jour où je me suis demandée : c’est moi ? C’est vraiment moi ça ? Moi qui ai peur de chaque voiture qui ralentit, je vais vraiment traverser les US en auto stop SEULE ? Je me suis rendue compte que je ne voulais pas tenter ce truc de dingue pour moi. Non je voulais le faire pour impressionner, pour dire « regardez comme je suis stylée, regardez comme j’ai du courage pour une femme ». REGARDEZ. Pourquoi avons-nous tant besoin de la validation des autres ? Pourquoi en ai-je tant besoin ? Moi qui ai toujours crié au monde entier que je me foutais totalement du regard des autres, on dirait que je me suis (peut-être) un peu menti à moi-même. Bon. Reste plus qu’à s’en défaire de ce fameux « regard de l’autre ». Toute une aventure.

Sinon, ça va super, je me sens super heureuse et ce soir on va manger des super pizzas, miam. Super, c’est vraiment super.

J’ai passé un délicieux moment ce midi en compagnie de mes chères Léa et Amélie. Chaque jour, Léa prend une place un peu plus importante dans mon cœur. J’aime notre équipe de volontaires. J’aime ma vie. J’aime l’énergie qui règne ici. J’aime ma vie, oui. Et puis ce matin, nous avons fait des câlins à des petits chiots a. Mon cœur a totalement fondu.

(oula ce moustique je vais me le faire) (je crois qu’il faut que je lui tende un piège. Tant pis, une piqûre contre sa vie, ça ne me paraît pas cher payé) (putain il est malin le con. Dès que je lève la main, il s’envole) (je n’ai jamais vu un moustique si rapide, il a pris de la cocaïne ou quoi ??) (je rêve le mec a réussi à me piquer à l’oreille ! l’oreille quoi ! moustique 1 marion 0. J’ai perdu une bataille mais la guerre. J’aurai sa peau, parole de Leprêtre) (bon j’ai eu un moustique mais était-ce vraiment lui ? Je n’ai pas reconnu sa fougue et son regarde fourbe, j’ai un doute. Je le saurai bien assez vite. Bon ça fait toujours un moustique de moins sur cette terre, on ne va pas se plaindre) (oh putain, je viens de le voir passer devant moi, telle une flèche enflammée, enragée. Il me nargue le saligaud) (je l’ai assommé mais je crois qu’il vit toujours, je ne retrouve pas son corps gisant, sanglant) (plus de traces du moustique. S’il se croit sorti d’affaires, il se met la patte dans l’œil. Je dois filer mais je n’ai pas dit mon dernier mot. La chambre est scellée, elle sera son tombeau).

5.12.19

Je suis épuisée, je dors debout. Ma famille a encore fait un boucan pas possible à partir de 6h du matin. Ils auraient voulu faire plus de bruit, ils auraient pas pu. Mais c’est comme ça. Je m’habitue sans m’habituer.

Hier soir, avec Amélie et Léa, nous avons invité Camilla à manger une pizza dans le village qui s’appelle La Virginia. C’était une soirée géniale et je n’aurais jamais imaginé passer une si bonne soirée avec une ado. Camilla respirait la joie et ça m’a profondément remplie d’être à l’origine de cette gaieté.

La pizza était bof.

6.12.19

C’est le départ et va savoir ce que je ressens. Certains au revoir sont déchirants. D’autres plus légers. Je suis heureuse de quitter cet endroit et puis soudainement triste.

Moi qui ai toujours quelque chose à dire pour conclure, voilà que je sèche. C’est simple et confus. Sublime et hideux. Brut et sauvage. Doux et rugueux. Violent et triste.

Non, franchement, les mots justes ne viennent pas.

Au revoir petit barrio de mon coeur, merci et à bientôt.

Un commentaire sur “Journal de Las Colonias, partie 3

  1. Incroyable, un régal, un plaisir. Je plonge avec toi et je partage tes sensations, tu me donnes un peu de ton énergie, de ton bonheur dans ma matinée , merci.
    (Le passage du moustique : imagine moi rire, la plus grande fan de ton humour)

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