Colombie, mon amour

Il pleuvait et un brouillard sordide tapissait les alentours.
L’épuisement propre aux longs voyages rêveurs avait gagné mon corps tout entier et je tremblais.
Les rues me semblaient venues d’un autre monde. Je ne connaissais rien mais reconnaissais tout.
J’étais ici et ailleurs.
C’était Medellin.
C’était mon premier pas en Colombie.
C’était le début d’une histoire d’amour que je ne soupçonnais pas.

Medellin, donc, fut le premier arrêt. Nous logeons près du centre-ville, un endroit peu commun dans lequel se côtoient mendiants, prostituées, boutiques en tous genres, arepas savoureuses, touristes sollicités, banques, odeurs étranges et colombiens lambda.

Je nous revois, avec Yoan, arpenter les rues bruyantes et animées de cette ville dont on m’avait tant vanté les mérites. Je me sentais en dehors de tout. Le corps avançait, l’esprit quant à lui, tentait de comprendre, d’appréhender, de discerner. Il se passait quelque chose de fort et de subtil mais je n’avais à l’époque, ni les clés ni les mots.

Mon regard balayait ces grands immeubles ratés, se perdait dans les immenses avenues chaotiques, se retrouvait dans le regard des vendeurs ambulants au sourire débordant et débordé. J’absorbais tout tel un buvard qui fait voir la vie en tourbillons. Les pupilles dilatées, j’avançais, assoiffée, affamée, je te voulais toute entière. Je t’appartenais déjà ma belle Colombie.

Il y a de ces histoires qui surprennent, qui font tout chavirer, rassurent, bousculent et transforment nos croyances, nos acquis, nos questions, nos réponses. De ces histoires dont on sort changés pour toujours.

Celle-là, celle de la Colombie et moi, en fait partie.

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Nous sommes dans les Caraïbes et dans ce lieu aux promesses turquoises, la vie semble soudainement pleine de sens, d’une évidence incroyable. L’ambiance vaporeuse qui se dégage me berce, la beauté de vivre m’enivre. Les rencontres sont évidentes, toujours bienveillantes et tellement enrichissantes. Le quotidien est facile, nous vivons entre la tienda du monsieur que j’adore, l’hostel qui devient une coloc incroyable et la mer dont la sérénité semble inébranlable. Les orages sont fréquents et viennent nous divertir, nous rions comme des enfants et trempés, courons sous ce ciel en colère. La route principale s’inonde, chaque fois je me demande comment toute cette eau disparaitra mais comme toujours, au petit matin, il ne reste plus que cette grande flaque me rappelant que la vie n’est que de passage.

Les moments s’envolent si vite, le temps se joue de nous. Je voudrais tout arrêter, qu’on puisse se planter dans ce présent pour l’éternité. Mais la rivière continue de couler et je suis présente dans chaque instant, aussi simple soit-il. Il n’y a ni passé ni futur. Les jungles exotiques succèdent aux plages paradisiaques qui laissent la place aux montagnes empreintes de secrets indigènes. La nature m’enveloppe de sa pureté, de son puissant silence, de ses couleurs irréelles. Je m’y perds, m’y abandonne. Quand cette tranquillité est perturbée, c’est pour laisser place aux énormes enceintes qui ornent les rues terreuses, aux danses alcoolisées s’évanouissant à l’aube, aux rires dont l’écho résonne jusqu’au fond des horizons, au bruit des verres qui trinquent dans l’amour et la joie. Cet abandon dans la gaieté, la simplicité, la danse et la musique se vit, s’écoute. C’est une transe, une ode à la vie, un doigt d’honneur à la noirceur de ce monde.
La croisière est merveilleuse et les tempêtes accentuent son calme souverain.

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Un jour, Yoan lève les voiles. Moi, je jette l’ancre. Les au revoir sont douloureux mais le cadeau que l’on se fait, celui de vivre ses rêves à corps perdu, recèle une richesse infinie.

Me voilà seule pour la première fois depuis un an. Je ne suis évidemment plus la même mais je dois néanmoins réapprendre la vie en solitaire. Je suis heureuse de retrouver cette solitude, celle des grands espaces vides et des silences compris.

À nous deux ma Colombie.

Un nouveau rythme s’impose. La lenteur est de rigueur. Protectrice, tu m’emmènes sur les bons chemins. L’aventure seule commence au cœur de la Comuna 13. Les émotions sont d’une intensité rare et les rencontres, sans adjectifs qui puissent les caractériser avec justesse. Je mesure mon immense chance d’intégrer cette communauté au sourire et à la sincérité déconcertante. Là-bas, les conversations n’ont pas besoin d’avoir lieu car nous sommes. Je ne suis plus une touriste, je ne suis plus une voyageuse. Je ne suis pas un métier, je ne suis pas un couple, je ne suis pas une passion, je ne suis pas un caractère. Je suis Marion Leprêtre. Je découvre en silence, je m’imprègne et tente de me souvenir en plaçant l’œil curieux derrière mon meilleur ami : objectif. Les histoires contées, celles qui flottent dans l’air ou sur ces lèvres abîmées me touchent en plein cœur et mon regard change profondément, pour toujours.

Le voyage se teinte de nouvelles nuances, il déborde, m’emmène dans des coins inconnus, incongrus. Je me sens à ma place. Je suis entière, je suis vivante, je suis Moi. Tout est facile, rien ne me fait plus peur, j’ai confiance et je m’aime.

Tout s’emmêle, tout se fait et se défait, tout est évident.

Je débarque à Las Colonias. Je suis dans ce bus aux banquettes rouge flamboyant, je n’ai pas la moindre idée d’où je mets les pieds. Je sors de ce tas de ferraille poussiéreux, Santiago me prend par la main et me guide au sein du quartier qui deviendra ma maison pour les prochaines semaines.

Une nouvelle aventure humaine s’apprête à se jouer mais je n’en connais ni les tenants, ni les aboutissants.

Las Colonias, ce petit barrio aux couleurs brisées, m’envoûte, me fait mal et m’enseigne. Les leçons de vie sont quotidiennes, les joies également. Je me languis de ces gourmandes soirées chez Mamita, ma grand-mère aux cheveux ébènes qui ne reflètent étonnement pas le poids de l’âge. Je revois bien sûr ces milles gosses, désœuvrés, hurlant la vie, hurlant la joie, hurlant la mort. Nous aidons, nous échangeons, nous donnons, nous prenons. C’est l’expérience la plus difficile mais la plus belle de mon voyage. J’ai toujours en moi l’image de la mélancolique Heidi, cette adolescente aux yeux de chat qui portait la vie avec une insouciance déroutante. 16 ans, future femme, future mère, pas d’options, pas de repos. Je voudrais tant qu’on s’assoie de nouveau sur ce banc, voir son sourire se dessiner sous l’effet de nos blagues stupides, je voudrais lui tenir la main, l’accompagner et encore, voir ce sourire qui, l’espace d’instant, oublie le poids de la vie.

Résilience, authenticité, simplicité. Mon expérience là-bas me change, elle change tout.

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Le vent continue de souffler, je navigue à vue mais comme j’aime ça. Tout n’est que surprise et imprévus. Je suis vivante, je suis vivante. Rien ne m’appartient mais tout est à moi. Je suis moi, avec mes « pas assez » mais surtout mes « trop ». Je ris fort, je vis fort. Je ne possède presque rien mais je me sens si riche. Le voyage me surprend chaque seconde, la Colombie continue de me m’électriser. Je suis fascinée, émue, en colère, émerveillée. Je suis amoureuse.

Il y a la côte Caraïbes, de nouveau. Il y a ma Léa chérie. Ma Léa aux allures de gamine de perdue, qui n’aime pas ses petits cheveux, qui a un rire que j’adore. Elle a apporté tellement de joie et de douceur dans mon voyage. Le sait-elle ? Il y a ces marches perdues, ces escapades sans lendemain. Les sourires fleurissent, le cœur des colombiens n’en finit pas de me surprendre, de me faire pleurer, de me donner de la joie, de l’amour, un amour si vrai, un amour si fort. Les danses ne s’arrêtent jamais, je me prête au jeu et mes pieds valsent toutes les nuits. Il y a Anne-Laure et nos merveilleuses tribulations. La nature s’étend, toujours surprenante, me donnant des émotions que je n’avais entrevues. Il y a Bogota, ses libertés, ses interdits, sa fête qui ne s’arrête jamais. Je me perds, je me retrouve dans ce voyage qui devient une découverte non plus de ce qui m’entoure, mais de ce qui est à l’intérieur de moi. J’écris, je danse, je chante, j’invente, je rêve. Je n’ai pas peur. Je suis là, je suis ici, tout va bien. Il y a l’histoire, le passé douloureux, les colères, les souffrances. Il y a les cascades solitaires, les mecs lourds, le village magique qui est sur l’eau, les vies brisées, les éclatantes feuilles grimpantes, les décalages. La vie est lente en Colombie, on prend son temps, on écoute et on observe. Rien ne presse, surtout pas le temps. Il y a encore les marches et encore les sourires et encore la simplicité et encore la musique et encore le bruit et encore les frijoles et encore le vert et encore le silence.

Et puis bien sûr, il y a cette étrange note finale : le covid et son ami le confinement. Sortis de nulle part. Je les accepte avec douleur mais finis par les intégrer. Si bien que je me noie dans cette quarantaine, m’y complais et m’y cache. J’y découvre une bulle agréable, une lenteur de vivre véritable, pleine d’enseignements. Alors, je finis par en tirer le positif et apprécier cette vie sans impératifs. La quitter sera plus difficile que je ne l’imaginais.

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Je n’aurai jamais fini de te conter, de te remercier ma merveilleuse Colombie. Tu m’as tellement donné. Sans rien attendre en retour, sans douter, sans préjugés. Tu m’as offert une sérénité excessive, une euphorie de vivre.

Je voudrais que le monde entier te voit, apprenne de toi. Mais laisse-moi aussi te garder jalousement. Encore un tout petit peu.

Merci pour cette leçon d’humanité.
Merci de m’avoir proposé une nouvelle définition de la beauté.
Merci pour cette lenteur, cette simplicité de vie.
Merci pour tes gens, ton authenticité, tes sourires, tes câlins.
Merci pour cette liberté addictive.
Merci d’avoir répondu à mes questions.
Merci pour ta nature aux contrastes saisissants.

Gracias mi reina, mi vida, mi amor, mi cielo.

Tu me manques chaque jour, je te promets que je te reviendrai.

2 commentaires sur “Colombie, mon amour

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