QUAND ÇA SERA FINI.
Quand ça sera fini, j’irai courir. Ici, en Colombie, je n’ai pas le droit de courir. Je n’ai pas le droit de courir car ça n’est pas autorisé. Je n’ai pas le droit de courir parce que c’est dangereux ; l’agressivité a gagné les rues vidées de ma jolie Cali, ma Cali qui s’est éteinte. Je n’ai pas le droit de courir et l’écrire me semble inconcevable. Alors quand ça sera fini, j’irai courir. J’irai courir, courir jusqu’à en avoir envie de vomir, jusqu’à ne plus sentir mes jambes, mes pieds, mon corps. Je sentirai tout. J’irai courir sur la colline d’en face, la colline aux trois croix qui me nargue chaque jour, comme je rêve d’aller la grimper, de brûler mes cuisses sur sa terre abrupte. J’irai courir après mes rêves avortés, j’irai courir après ma liberté ôtée. J’irai courir et je n’aurai plus assez de souffle pour crier, pleurer toutes ces larmes qui ne se versent plus. J’irai courir comme une dingue, je ne m’arrêterai pas, je piétinerai rêves avortés et espoirs déchus, j’enjamberai les doutes et les peurs, je leur ferai un doigt d’honneur et je ne m’arrêterai pas de courir. J’irai danser aussi, j’emporterai mes pas de salsa incertains, mon ivresse des jours allègres et je les ferai tous valser, les hommes, les peurs, les doutes, les craintes. Sur mes lèvres, j’étalerai ce rouge qui me manque tant, qui me va si bien. Et je danserai jusqu’à l’aube, je danserai, je danserai jusqu’à ce soleil froid annonciateur de renouveau. Je courrai, je danserai, j’hurlerai, j’embrasserai, je serrerai, je brûlerai, je vivrai si fort. J’irai là-bas, sur ma colline, j’irai récupérer ma liberté, celle qui me coûte tant, celle qui m’emprisonne et dicte ma conduite, celle qui me manque à mourir.
UN SOUVENIR HEUREUX
J’ai beaucoup de chance car des souvenirs heureux, j’en ai mille. Mais c’est celui-là que j’ai eu envie de raconter car celui-là, d’une simplicité singulière, me reste un peu plus que les autres, me réconforte un peu plus que les autres.
Vendredi après-midi. Ou bien était-ce un samedi ? Déjà à cette époque, les jours ne voulaient rien dire. Le soleil était juste ce qu’il fallait et l’atmosphère, envoutante.
Plus de deux mois que j’avais retrouvé Anne-Laure, ma meilleure compagnonne de voyage. Elle avait intégré un bout de mon voyage et moi, un bout du sien. Voilà qui devenait un peu le nôtre. Toutes les deux à sillonner les routes merveilleusement imparfaites de la Colombie, toutes les deux à rire sous la pluie, à danser jusqu’au petit matin, à se gaver d’arepas, à s’émerveiller devant les murs abîmés, à râler pour rien, à discuter toute la nuit… toutes les deux à vivre cette vie dont nous avions tant rêvé, cette vie de liberté.
Ce vendredi-là, ou alors était-ce un jeudi, nous étions à Barichara chez Emerson, notre hôte Airbnb. C’était la première fois que nous essayions Airbnb en Colombie et j’étais toute excitée car j’adore les premières fois. Il n’a pas fallu plus de 10 minutes pour totalement adorer Emerson. Avec ses milles cheveux joyeux et son rire que j’entends encore, nous avions vite compris que c’était un ami que nous rencontrions. La maison d’Emerson, à son image, était simple et chaleureuse. Un petit salon dans lequel nous mangions à même le sol, des plantes qui respirent l’amour, une enceinte qui (enfin !) crachait de la bonne musique et des grandes vitres qui laissaient filtrer une lumière magique. Mais ce que j’aimais par-dessus tout chez Emerson, c’était ce bout de jardin pas fini dans lequel nous étions si bien.
Et c’est dans ce petit espace unique que nous étions ce vendredi après-midi. Ou peut-être étions nous dimanche. Anne-Laure se prélassait dans le hamac, je bouquinais sur le petit tabouret de traviole et puis c’est tout. Emerson s’était joint à nous pour discuter sous l’arbre qui, en fin de journée, nous offrait ses plus belles couleurs. Nous étions ensemble, on discutait puis on s’arrêtait. Il n’y avait rien de spécial pourtant tout était parfait : mes amis, la lumière, l’énergie, l’amour. Tout était heureux. Emerson nous avait emmenées sur le toit afin de contempler les silencieuses ruelles de Barichara qui s’assombrissaient avec poésie.
Oui, tout était heureux.
PAR MA FENÊTRE
J’ai toujours adoré regarder par la fenêtre, observer le temps qui court, les passants qui s’activent, les petits détails échappent.
Ici, la fenêtre de la chambre que je partage avec Stéphanie la française, Franz l’allemand et Hermes l’italien est pleine de barreaux. Comme pour me rappeler que sortir n’est plus qu’un verbe abstrait. Comme pour me rappeler que le dehors n’a plus la même saveur. Pourtant j’aime cette fenêtre, ces barreaux qui donnent des ombres photogéniques et mystérieuses. La lumière qui y entre prend des teintes différentes au cours de la journée et je joue avec elle, je tente des autoportraits, je photographie le mur, mes jambes et le lit strié de formes graphiques.
Si je penche un peu la tête, j’aperçois le petit muret sur lequel les colombiens viennent parfois discuter, clope au bec et bière à la main. Le confinement semble tellement incongru dans ce pays où l’on vit dehors. En fond d’écran, toujours ma colline aux trois croix, celle qui la nuit tombée, s’enfonce dans une épaisse brume laiteuse et crie l’espoir, la mélancolie et la joie.
Lors de certaines soirées qui frôlent l’ennui, je m’assoie sur la fenêtre, je colle mes longues jambes aux barreaux et lance ma tête à la renverse, mes cheveux touchent le sol, ces longs cheveux que je n’ai pas coupés depuis deux ans, ces longs cheveux qui racontent désormais tellement d’histoires. À cette heure de la journée, le grand réverbère de la rue éclaire mon visage et donne au dortoir une beauté singulière. Je garde la tête à l’envers et me perds dans des rêves insensés. Julian interrompt mes pensées et me lance, avec ce sourire qui illumine mes journées, un « buenas noches Marion ». Julian, c’est le voisin d’en face, un colombien professeur de français, le hasard fait de drôles de choses. À peine quelques mètres nous séparent mais comme nous ne pouvons pas discuter normalement, nous le faisons par fenêtres interposées. Moi qui ai fui la normalité toute ma vie, voilà que je rêve désormais de choses normales. Comme inviter Julian à boire un café, parler en français, en espagnol, rire et raconter. Mais on ne peut alors on continue cette vie, ma foi étrange. Sous cette fenêtre passent également quelques mendiants ; ils viennent demander un peu d’argent, un peu de riz, un peu de vie. On donne ce qu’on peut et on réalise la chance que nous avons de l’avoir, cette fenêtre.
CETTE DÉCISION
C’était un mois d’Août chaud, c’était des quais animés envahis par les jours sans fin. C’était des paroles légères et rassurantes. Il avait dit, ne t’inquiète pas ma chérie, ça va aller. Je portais un mon short bleu, je l’adorais et puis je l’ai détesté. Aux pieds, ces petits talons usés qui rendaient mon pas un peu gauche mais mes jambes infinies. J’avais le cœur qui battait et les mains qui partaient dans tous les sens. Je savais, je savais tout ce qui allait suivre mais il est si facile de s’aveugler. C’était sa décision. Je ne veux plus qu’on soit ensemble. C’était sa décision, elle est tombée tranchante, aiguisée et brûlante. Je suis devenue du marbre, j’avais mon corps à l’arrêt, tout souffrait, la douleur m’avait envahie. Une douleur muette, une douleur irréelle. J’écoutais et ça coulait. Il me disait, allez ma chérie, dis quelque chose. Je ne bougeais pas. Il me disait, serre-moi, prends-moi dans mes bras. Il disait, il parlait, il était calme et j’aurais voulu qu’il soit en feu pour réchauffer la froideur terrifiante qui s’était emparée de moi. Mais il est resté calme, tellement calme. C’était terminé, c’était sa décision. Cette décision brutale et insensée. Je pensais être brisée, ne jamais me relever, je pensais que jamais plus les couleurs auraient la même beauté et les odeurs, la même ivresse. J’étais naïve, je ne le savais pas encore mais c’est sa décision qui a permis de prendre la mienne. Il m’a laissée partir, il m’a fait ce cadeau. Alors, j’ai réuni courage, folie et lâcher prise, nous avons discuté et nous avons décidé de réaliser ce rêve enfoui depuis tant d’années. Le voyage sans billet de retour, l’aventure sans compromis, la liberté sans limites. J’ai tout quitté, je ne me suis pas retournée et je suis allée me lover dans cette nouvelle vie pleine de douces promesses et d’exotisme. Le voyage de ma vie, le seul, celui qui changera tout. Ma décision, ma plus belle décision. Mon voyage, celui qui a tout changé.
Les toutes premières photos du voyage :
À l’heure où je lis ton nouvel article, j’apprends ( enfin !) la date de ton retour et voilà que tes mots, pourtant d’une intensité remarquable, se mettent à danser dans tous les sens , que tes photos virevoltent dans l’air et que mes émotions échappent au radar de mon cerveau !
J’ai l’impression que l’héroïne de mon film préféré va crever l’écran et qu’elle va se jeter à mon cou dans un tourbillon de parfums dont les embruns n’en finiront pas de combler un manque de plus d’un an de séparation !!
J’ai beau me freiner mais malgré moi j’anticipe et j’écris la fin du film : Je te serre contre mon cœur, je pleure de joie, je souris bêtement en te regardant jusqu’à m’en décrocher la mâchoire, je respire tes cheveux et ta peau, je m’étonne ( comme à chaque fois que je te retrouve) de la longueur de ton corps et te jure que tu as encore grandi, je te suis partout comme un petit chien, je t’écoute superposer tes récits de voyage tant tu auras de choses à nous raconter, je t’entends rire avec ta sœur et je respire lentement l’atmosphère de notre famille qui souffrait d’un manque les jours de fête, les jours tout court !!
Mais en attendant que mon cœur ne se décroche à la vue ta longue silhouette qui aura enfin cesser de flotter à l’horizon, je reprends mes esprits et me délecte de ce nouvel écrit qui me rappelle toute la force de ton écriture !
Tu auras su tirer partie d’une fin que tu n’as pourtant écrite toi-même pour affiner ta plume et lui donner cette si belle intensité, venue à point au terme de ton voyage.
Entre souvenirs de voyage et confessions intimes, tu mets lentement un terme à ce magnifique voyage et tu nous laisses remplis de souvenirs hauts en couleurs, peuplés de personnages qui nous manqueront à tous, nous tes fidèles lecteurs !!
Et si un sentiment de nostalgie se pointe déjà à l’horizon, je sais déjà ton voyage continuera de vivre dans nos mémoires, dans tes écrits et dans tes récits qui n’en finiront pas de se déployer comme dans un livre sans fin !
Je sais aussi que ce voyage t’aura fait grandir ( cette fois je peux le dire! ) et t’aidera à écrire une nouvelle page de ta vie qui débute demain ou peut-être même aujourd’hui…
Avec tout mon amour ❤️
J’aimeJ’aime