Confinement et rêveries

Hier soir, j’étais assise sur les marches du petit escalier qui descend jusqu’à la grande avenue autrefois trop bruyante. Il était tard, dans les 2heures du matin je crois. La ville, déjà plus ou moins éteinte depuis quelques jours, était, à cette heure de la nuit que j’aime tant, totalement sourde. Les grands immeubles arrondis semblaient sortis d’un film indépendant aux couleurs saturées. Un foutu long film dans lequel les scènes se répéteraient inlassablement, prenant tantôt la saveur de désespoir, tantôt celle de l’exceptionnel.

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J’ai aimé la scène d’hier soir, son ciel trop clair, son silence étrange, ses fenêtres mortes. J’avais le regard plongé dans Cali, ma belle Cali que j’aime tant, ma belle Cali si bruyante, si dansante. Ma belle Cali, que t’est-il arrivé ? Qu’est-il arrivé à notre monde ? Je ne voulais pas de ça. Je sais que personne n’en voulait de cet univers à l’arrêt mais ma phase d’acceptation n’est toujours pas achevée, ainsi soit-il. J’ai souvent les yeux perdus devant moi, je n’ai étonnement jamais aussi peu pensé. Rien ne vient, tout est bloqué à moins que ça ne soit moi qui bloque tout. Pas de créativité, pas d’envies malgré mes essais. J’ai envie d’écrire sur la Colombie, sur la fin de mon séjour à Las Colonias. J’ai envie de photographier, d’apprendre, de tester de nouvelles choses. J’ai envie d’en savoir plus sur les gens qui m’entourent, les comprendre, les apprendre. J’ai envie d’étudier l’espagnol, j’ai tellement d’envies.

Mais rien ne vient.

Les journées se ressemblent sans pourtant d’ennui. Je prends un petit déjeuner qui traîne. J’appelle ma mère et ça me fait toujours du bien. Je lui dis tout, je pleure et je ris et je l’aime. Je fais du sport avec Marin et Hermes. Je préfèrerais parfois être seule mais j’aime leur compagnie et puis l’intimité est de toutes façons sortie de mon vocabulaire. Je complète avec du yoga pour me recentrer, me reconnecter, m’équilibrer. Ça ne marche pas toujours. Nous terminons, j’allonge mon corps dégoulinant sur le sol brûlant et je me dis, tiens, quelle drôle de vie. J’arrête de penser et je vais prendre ma douche en mettant la musique aussi fort qu’il est possible, elle hurle à ma place et moi, je chante, je chante, je chante. Si faux. Je râle aussi car le sol est sale mais j’en rajoute avec mes poils de jambes qui ne veulent pas partir dans le trou. Foutue douche. Je regarde un peu Instagram, un peu Facebook, un peu dehors, un peu dedans. Toujours rien. Pas l’ombre d’un rêve. 13h sonne l’heure de la nourriture. Je déjeune souvent avec Hermes, Franz et Steph. Hermes est italien, ses plats de prédilection sont donc les pâtes, le risotto et les injures augmentées de grands gestes inutiles. Franz, quant à lui renie totalement sa nationalité (allemande) qu’il trouve inacceptable. Nous ne mangeons donc pas de saucisses. Steph ne cuisine pas trop. Et moi, je me surprends à aimer concocter des petites choses pour les autres. Je prépare ensuite le café, bien fort, un tord-boyaux dirait le père. Dernières gouttes amères, je savoure la subtilité des moments terminés et entame mon vague à l’âme. Il ne me satisfait pas plus que ça alors j’arrête. J’ouvre mes cours d’espagnol, je révise le subjonctif et j’arrête, je n’arrive pas à me servir du subjonctif de toutes façons. Je reprends mon vague à l’âme, des fois qu’il m’inspirerait. Franz vient interrompre mes rêveries pour me parler de Charlie Barrière, le meilleur colocataire de l’univers ainsi que de son ancien professeur de français Christian, un chic type. Tous les jours les mêmes histoires. Je l’écoute 10 minutes et puis j’arrête. J’essaye de m’allonger sur une chaise pour profiter du soleil mais il me brûle alors j’arrête. Pour changer, je jette mes yeux dans la jolie vue, nous sommes chanceux de l’avoir. Immeubles vintage, mont sacré et pics nuageux se mélangent avec harmonie. Comme je rêve d’aller marcher sur la colline d’en face, la colline aux trois croix qui me nargue chaque jour, comme je rêve d’aller la grimper, de brûler mes cuisses sur sa terre abrupte. J’ai envie de courir, courir jusqu’à avoir envie de vomir, jusqu’à ne plus sentir mes jambes, mes pieds, mon corps. Tout sentir. Je veux sortir, danser toute la nuit, danser, observer amoureusement le soleil des jours nouveaux se lever. Celui qui calme nos cœurs effrénés. Parfois je vais sur le toit et je danse comme si les jours étaient comptés, je danse et je souris, je souris et je danse, je rêve du jour où je pourrai à nouveau partager ces gestes suspendus.
Stop.

Ça aussi j’arrête. J’arrête ces pensées inutiles et me concentre sur ce que je peux faire là, maintenant, dans cet hostel cool et bizarre.

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Quand je ne danse pas, j’essaye d’écrire ou je lis. Parfois j’écoute un podcast en dessinant même si je dessine mal. Et puis, si l’apéro n’a pas commencé à midi, en fin de journée vient l’heure de l’apéro. On achète milles bières pas chères et on les boit à la vitesse de la lumière. On parle fort, je fais la DJ dictatrice, on joue aux cartes et on s’embrouille parce que Hermes triche (il est italien) et que Andres triche (il n’a pas d’excuses) et on rigole encore plus fort. Marin vient gratter les cordes de la guitare d’Andres en prenant des poses pas possibles. Il me fait tellement rire, j’en ai mal au ventre. Magnus nous regarde avec son air ennuyeux qui lui sied si bien. Dieu qu’il est chiant, j’ai rarement rencontré un ennui aussi vivant. Autour de ces soirées animées, il y a les autres. Christine, le mexicain, Asunta, Alex, Fernando, Joaquim. Et nous sommes là, tous ensemble, pas toujours ensemble. On s’apprivoise, on se parle, on s’écoute, on se respecte. Pas toujours. Quelle étrangeté quand on y pense. Je ne pense plus.

Il y a des nuits qui s’éternisent, des excès également. J’aime parfois me noyer dedans. La nuit et l’excès.

Les étoiles se font discrètes, je les devine, je les envie.

Hermes râle et roule un joint, Franz radote et s’esclaffe.

Magnus marche. Je ne pensais pas qu’il était possible d’autant marcher dans un espace si petit. Il marche.

Je ne dors pas et me demande si tout ça est bien réel. J’ai chaud.

Tout se mélange, tout se répète, les jours ne veulent plus rien dire. C’est long et c’est court. Rien ne se passe, tout se passe. Le temps s’envole et je ne le vois pas. Le temps n’est qu’une illusion m’avait-on dit, voilà que cela fait sens.

Ma liberté, ma chère liberté, qu’elle me manque. J’irai la retrouver, je sais qu’elle n’est pas loin. J’irai tout retrouver. Mes rêves, mes amours, mes envies, mes projets. J’irai vivre un nouveau film avec des couleurs moins saturées, une fin moins bancale.

Nous retournons sur l’escalier à weed, repartons rêver, plonger une dernière fois notre regard dans la nuit morne. Nous la laissons nous emporter dans son silence énigmatique, elle nous berce et nous promet tellement. Nous ne parlons pas, respectons cette tranquillité apaisante. Un secret.

Une pause. Enfin.

Rien ne dure jamais.

J’accepte.

Tout recommencera.

Je m’endors, hasta mañana.

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2 commentaires sur “Confinement et rêveries

  1. Je savais que ta plume n’était pas éteinte, je savais qu’elle retrouverait sa force, son goût et son parfum de liberté.
    Ton écriture est juste différente. On pourrait croire qu’elle s’est figée mais non. Elle s’est simplement adaptée… Si les décors semblent avoir perdu de leur grandeur, tu leur donnes un nouveau relief et c’est magnifique. Les sommets que tu cherches à atteindre sont intérieurs et je me dis que c’est sûrement dans cette rêverie que ton voyage aboutira. Tu flânes et tu te perds dans les sentiers d’un voyage que tu ne reconnais plus. Tu piétines, tu attends, tu t’arrêtes, tu reprends. Tu observes et tu es confiante, comme toujours.
    Plus que jamais, tes photos collent à ton nouveau récit et leur univers à mi-chemin entre étrangeté et douceur m’envoûtent, me séduisent et me surprennent.
    Tu as réussi à rendre beau un film qui s’est coupé brutalement, à redonner de l’éclat à une image que tu croyais ternie, à me faire vibrer au rythme lent, presque mélancolique et tellement doux d’un nouvel écrit qui a envahi mes veines et mon coeur.
    Merci pour ce nouveau et magnifique voyage
    Avec tout mon amour ❤️

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  2. Coucou les loulous de Cali, salut Marion.
    Coupés donc dans nos élans, nos cheminements, nos rencontres… bloqués quelque part dans un pays qui nous séduit. On traite tous avec cette distorsion inopinée du temps . J’ai commencer par haïr cette rupture. Il a fallu un petit temps pour accepter, un petit temps pour aller voir au fond de soi, ce que ça nous fait de voir le monde ainsi, un petit temps pour se demander combien il en faudra aux être humains pour ouvrir un peu les yeux… j’ai donc d’abord haï ce temps, et maintenant je ne sais plus si je veux que ça s’arrête.
    Juste pour te dire que nous sommes quelqu’uns comme vous comme toi, dans le même bateau, à attendre de retrouver un peu de liberté dans nos déplacements, à attendre que les êtres humains en retrouve en espérant qu’ils le feront avec un peu plus de respect pour la nature cette fois ci…
    Ceci est simplement un petit message de soutien.
    Depuis ma rencontre avec Anne Laure à Barrichara, je suis un peu tes publications et prend plaisir à lire et regarder tes aventures d’humanités. Te agradezco por eso.
    Amor y compasión.
    🙏🏽

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