Je suis parti un peu comme ça, soudainement. J’ai sauté dans l’inconnu du voyage sans vraiment l’avoir préparé, sans m’être projeté dans ce que cela pouvait être. Il offre son lot de surprises, d’émerveillements, de rencontres qui marquent et donnent de la force, de l’espoir ; il vous confronte aussi à une autre réalité : douce et brutale, heureuse et injuste. Dans cette autre réalité, je suis toujours Yoan Nsemi, français noir de 28 ans dont les parents sont originaires du Congo (celui dont la capitale est Brazzaville, celui qui ressemble à une personne assise regardant vers l’océan Atlantique).
French Noir
Au Mexique on me pensait noir américain, au Guatemala cubain ou jamaïcain, les salvadoriens ont vu en moi un Colombien, je ne compte plus les regards étonnés de me savoir Français : au restaurant, à la boulangerie, au supermarché, dans un café ou en terrasse d’un bar.
J’ai été pris en photo un nombre incalculable de fois au Mexique, avec de parfaits inconnus, une mère de famille m’a même demandé de poser avec sa fille de 1an devant la boulangerie familiale un matin, ils semblaient fiers et stupéfiés de me rencontrer. J’ai joué le jeu. Ma provenance était brièvement évoquée, ma personnalité importait peu et les raisons de mon voyage ne semblaient pas intéresser tant que ça. La curiosité s’arrêtait à ma couleur de peau, la stupéfaction qu’elle a pu provoquer me dépasse. Je me suis longtemps demandé que font les gens avec ces photos prises ? Que racontent-ils au reste de la famille quand ils la montrent ? Quelle est la légende qui accompagne leur posts Facebook ? J’ai souvent accepté avec le sourire sans vraiment comprendre ce qui se passait, mais les demandes ont commencé à m’agacer va savoir pourquoi.
Je me sentais comme une attraction, un exotisme livré à domicile pour ces gens qui voient des noirs courir sur les terrains de foot à la télé ou dans certains films d’horreurs de série Z où ils meurent les premiers… Au Guatemala, j’ai souvent fait la remarque « mais vous savez que vous avez des noirs comme moi qui vivent dans votre pays ? Vous vous prenez en photo avec eux ? », les quelques sourires gênés n’ont fait qu’augmenter le malaise. L’Amérique centrale a un drôle de rapport avec ces populations noires, elles sont là mais pas vraiment considérées comme faisant partie du tout. Au Guatemala, au Bélize et au Honduras vous pourrez croiser sur la côte caribéenne l’ethnie noire des Garifunas. Plusieurs navires espagnols se sont échoués dans la zone au 18ème siècle, transportant des esclaves noirs dans des conditions que vous imaginez abjectes afin de les faire travailler. Heureusement pour eux, ces naufrages leurs ont permis de créer un nouveau « chez eux » sur les îles et zones côtières. Comme c’est le cas à : Livingston, Guatemala (à prononcer avec la même intonation que si vous disiez : Kingston, Jamaica).
Noir Garifuna
Je n’ai pas encore eu la chance d’aller au Congo là où mes parents ont grandi, c’est peut-être la raison pour laquelle j’étais si impatient et curieux à mon arrivée à Livingston, le jour de mon anniversaire. Il fait chaud à en crever, les rues sont bondées de Tuk-tuk, Reinaldo AKA Tio Sombre ou Shade Uncle nous accueille avec le sourire, nous propose un logement à Iguana Hostal à un prix « défiant toute concurrence ». Il a la démarche chaloupée des rastas de Rockers (à la différence qu’il est chauve), on a l’impression qu’il danse quand il marche. Il me raconte brièvement son travail de rabatteur et les difficultés qui vont avec mais il me souhaite la bienvenue d’une manière trop singulière pour que je puisse l’oublier, il me dit : « Bienvenue à la maison ». Les regards étaient agréablement surpris quand je marchais dans la rue, les vendeurs ambulants m’interpellent avec un sourire jusqu’aux oreilles, certains commerçants me saluent de la main quand je passe. Edmart me confie que ce n’est pas habituel de voir un noir non caribéen ici. Clairement je me suis fait repérer direct (mon espagnol est peut-être plus dégueu que je n’aime à le penser). Mais je me sens bien ici, une connivence naturelle s’installe je trinque avec des frères qui me demandent ce que je fais dans le coin, je leur explique mon voyage avec Marion, ce que je faisais en France avant de partir, les tournées de Gallo (bière nationale au Guatemala) s’enchainent. Il y a aussi cet autre mec qui me demande de prendre une photo avec lui au détour d’une balade avec Marion, je pose à côté de lui pendant qu’elle immortalise la rencontre. Cette fois, je n’ai pas rechigné à prendre cette photo, j’en étais même ravi. Je ne posais pas avec un inconnu mais comme avec un lointain cousin. Curieuse sensation.
Noir Backpack
Être noir, c’est particulier. Tu passes rarement incognito, on te remarque et tu sens les regards qui s’accumulent dans ton dos quand tu passes. Après je relativise, on me regarde aussi parce que je détone avec les locaux dans mon habillement, ma façon de marcher ce n’est pas juste la couleur de peau et je ne m’hasarderais pas à parler de racisme dans mon cas. Dieu merci ma différence attire d’avantage qu’elle n’éloigne, elle crée une fenêtre lumineuse pour parler d’égal à égal, casser une idée reçue et laisser le souvenir d’une émotion positive. Quand j’ai saisi le truc, je m’amusais à dire aux gens qu’on rencontrait « qu’il n’y avait pas de couple plus français que Marion et moi ». Les rires et les approbations en réaction m’encouragent à continuer, à casser les lignes (je crois que c’est devenu mon sport préféré).
Le fait de voyager main dans la main avec une grande belle blonde Française souvent prise pour Suédoise a été le plus jouissif des doigts d’honneur aux à priori liés à la couleur de peau. Exemple type, une adorable famille nous a pris en stop au Guatemala, on a vraiment sympathisé durant les 2h de trajet ensemble, on s’est raconté nos deux pays, nos coins préférés dans le pays… Mais je crois qu’on n’a jamais autant ri que lorsque la femme nous a demandé presque honteuse : « Mais de quelle couleur seront vos enfants ? ». On ne s’est pas offusqués de la question, au contraire on a répondu « café con leche » pour la blague et pour qu’elle visualise mieux, avant de poursuivre en disant qu’ils seront certains mates de peau. Sauf mauvaise surprise. On n’a rien en commun mais ils se peut que nos gosses se ressemblent, j’ai senti le mindfuck dans sa tête derrière son sourire songeur. Beau à observer. L’Amérique centrale est un drôle d’endroit pour un couple comme Marion et moi, la mixité est une réalité qu’ils observent le regard amusé quand d’autres masquent leur étonnement dans des rires nerveux lorsqu’on s’embrasse au supermarché (voir un ours blanc en monocycle dans leur rue leur semblerait moins surprenant).
Facteur X : dreadlocks
J’ai eu la bonne idée de faire des dreadlocks presque 2 ans avant le début du voyage, je n’imaginais pas que je pouvais susciter autant de sympathie de la part d’autres « frères » (comprendre ici : les personnes qui ont des dreadlocks, pas la religion hein). C’est un monde merveilleux dans lequel on vous salue épaule à épaule, on vous questionne sur vos locks avant de les complimenter et dans 100% des cas on vous proposera de la marijuana. Être noir à dreadlocks peut vous rendre la vie plus douce de manière inopinée, qu’il s’agisse des vraies rencontres ou d’échanges furtifs. Dans certains endroits comme à Mazunte (Mexique) et San Marcos de la Laguna (Guatemala), j’ai l’impression que c’est l’assurance d’être une personne cool, on vient discuter avec vous le temps de partager un joint (j’ai rarement refusé) ou pour vous inviter à une soirée Reggae/Dub. Dans ces places, les gens sont plus avenants plus ouverts parce qu’attirés par tout ce qui est contre-culture, inhabituel, pas dans la norme, parfois à l’excès. Mais bon, impossible de leur en vouloir tant ça m’a mis du baume au cœur, ce n’est jamais désagréable d’attirer une sympathie totalement désintéressée. One love.
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Epilogue
J’ai commencé à rédiger à Granada au Nicaragua et je vais le terminer depuis Rincon del Mar en Colombie. A mon arrivée à Medellin mon exotisme a comme disparu, aucun regard insistant, suis-je devenu Mr tout le monde ? La couleur ne semble pas être un facteur d’importance de prime abord (après je n’ai pas passé d’entretien d’embauche pour pouvoir le confirmer à 100%). La voyage apporte son lot de blagues : finir par le pays dans lequel la couleur ne semble pas cacher un problème racial plus profond ; Est-ce que j’ai l’impression d’être dans un El Dorado ? Peut-être un peu, mais j’ai appris à ne pas m’emballer donc je me contente de profiter au jour le jour. Toujours ouvert à la rencontre qu’elle que soit sa couleur, ses origines, son apparence. Je garde en tête que les préjugés agissent comme un trompe œil : quand je parle du Salvador on me répond violence alors que je n’y ai vu que bienveillance ; comme ce gars qui a cherché Marion pendant une bonne heure pour lui rendre le passeport qu’elle avait oublié un cyber café. Qui fait ça ? En France j’ai la faiblesse de penser qu’elle ne l’aurait jamais retrouvé.
En voyage, je n’ai jamais ressenti aussi fort l’importance d’être ouvert et de tordre le cou aux idées reçues, pourvu que ça dure. Je suis toujours Yoan Nsemi, français noir de 28 ans dont les parents sont originaires du Congo (celui dont la capitale est Brazzaville, celui qui ressemble à une personne assise regardant vers l’océan Atlantique). Mais en vrai est-ce qu’on s’en bas pas un peu les couilles ? Mes voyages, mes potes, la musique que j’écoute et la bouffe que je mange en disent plus sur moi que la couleur de peau. Casser les lignes, ré-apprendre encore et encore, faire le contraire de ce que les a prioris dictent. Peace.
Yoan et Marion,
Quel joli geste, ma chérie, d’avoir prêté ta plume, le temps d’un article, à celui qui a partagé tes aventures pendant une année entière ! …
C’est comme si tu avais voulu t’effacer pendant quelques instants pour mettre en lumière ses propres impressions, ses propres ressentis, c’est comme si tu avais voulu lui passer le micro pour qu’il s’exprime à son tour dans ce qui ressemble à une belle interview.
Dans un autre style, une autre façon d’écrire, j’ai beaucoup aimé, Yoan, l’angle de vue que tu nous proposes. Sans détour ni pudeur, tu nous confie un de tes ressentis qui t’a accompagné pendant tout ton voyage.
J’ai beaucoup apprécié ta façon de décrire, chapitre par chapitre, simplement et sans jugement, le regard de l’autre sur ta couleur de peau. Tu laisses une large part au lecteur, libre de ressentir ce qu’il veut…
Tu t’amuses, tu t’étonnes, parfois tu t’agaces de ce regard intrigué et curieux que porte les gens sur la couleur de ta peau. Omniprésent dans ton voyage, tu décris ce regard comme un compagnon un peu trop collant qui t’a suivi presque partout, comme rivé à tes bagages.
Et si ce soir, il me plairait bien de le faire tomber définitivement de ton sac à dos afin que ce sujet n’en soit plus jamais un, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça serait un honneur pour moi et surtout un grand bonheur que de poser avec ce si joli couple haut en couleur, non pas pour ce que ce que l’on voit d’eux mais pour ce qu’ils sont !
Avec tout mon amour et ma tendresse ❤️
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