Je n’avais pas vraiment prévu d’écrire au sujet du lac. Mais j’y suis depuis presque un mois et je dois me rendre à l’évidence : il me chamboule, me renverse. Voilà un moment que je n’avais pas ressenti autant d’émotions contradictoires à propos d’un lieu.
Le lac Atitlan, situé au sud du pays, s’entoure principalement de volcans. Dans son sillage, pointes montagneuses, villages mayas et tuk-tuk qui arpentent les routes parfaitement déglinguées.
Ce lac, on le décrit souvent comme le plus beau du monde. On en parle comme d’un endroit où le temps s’arrête, un paradis terrestre. On dit que les villages qui l’encerclent abritent une force spirituelle unique. Un vortex géant serait au coeur du lac, attirant les énergies les plus puissantes.
Mais les « on dit » ne me suffisent pas. Je veux vérifier.
Revenant d’une retraite de méditation de 10 jours, San Marcos apparaissait comme une bonne option pour découvrir et explorer le lac. En effet, le village est réputé pour ses cours de yoga et son ambiance hippie reposante.
Malheureusement, on ne m’a pas prévenue mais mon arrivée coïncide avec les ferias. Je n’avais jamais entendu parler de ces réjouissances mais les découvre bien trop rapidement à mon goût. Ce que je constate avec mes yeux ébahis : une horde de Guatémaltèques qui dansent, crient, mangent et se bousculent, claquant pétards assourdissants, faisant vibrer les atroces enceintes aux musiques inaudibles. L’alcool coule, dégouline, laissant une marque déformée sur les visages assombris par le soleil. Chaque bruit se multiplie, cognant la face abrupte des inégales montagnes.
Je suis stupéfaite.
Où est donc cachée l’atmosphère paisible dont on m’a tant parlé ? La stupéfaction s’ajoute à l’épuisement mental et physique. Mon corps refuse ce carnage auditif. Je me sens agressée, j’ai envie de pleurer et de m’enfuir. Je me trouve bête de ne pas accepter les coutumes locales, de réagir comme une petite princesse mais c’est comme ça. Alors je fuis. Je saute dans une lancha et pars me réfugier à San Pedro, village bien plus calme, pourtant réputé fêtard. Cela me fait un bien fou, je ressens un puissant besoin de solitude. Je ne sors pas beaucoup de ma chambre, malgré les cafards de la salle de bain et l’odeur de moisis qui embaume les draps. Je dors, lis, mange et écris. La base. Ma base.
Je reviens de San Pedro reposée, heureuse, ouverte aux échanges et à la découverte. Je m’installe à Ahau, un hostel tenu par des mexicains aux ondes douces et positives. Chaleur, accueil, sourires et rires, je me sens chez moi. Bonjour San Marcos.
Le centre du village est minuscule : deux rues qui font défiler restaurants vegan, cafés bios, boutiques de tissus traditionnels et espaces proposant retraites de méditation et cours de yoga. On y trouve également deux vendeurs de légumes et des épiceries qui vendent davantage de tahini et de granolas bios que de riz ou de frijoles. La plupart des produits sont importés et coutent un bras, je me demande quel Guatémaltèque peut s’offrir ce genre de luxe ; même moi je ne peux pas. Et d’ailleurs, en parlant de Guatémaltèques, ils sont passés où les fous furieux des ferias ? Parce que là, ce que je vois, c’est une bande de blancs prêts à débourser une fortune en massages thaï et peanut butter, mais merde, je n’ai pas rêvé : il y a quelques semaines, j’ai vu des locaux, non ?
Oui, des locaux, il y en a bien. Mais pas au même endroit. Eux, sont nichés (cachés ?) dans les hauteurs, là où la verdure ne s’arrête jamais de s’étendre.
Et si l’on peut s’attendre à des petites communautés mignonnes, aux dialectes mayas exotiques et enchanteurs, la vérité se veut plus cruelle. Le délire ici, c’est mecs ivres morts à midi, allongés sur le bitume. Et quand ils ne sont pas allongés, il faut prendre garde à ne pas s’en prendre un dans la gueule, ça titube sévèrement, walking dead style. Je joue la sarcastique mais le spectacle est franchement triste et me fait beaucoup de peine. Dans cette partie du village, oublions les énergies positives et l’alignement des chakras, la reine ici c’est la pauvreté.
Pas de doutes : San Marcos, c’est deux salles, deux ambiances.

Les jours s’enchaînent et je continue mon apprentissage du village. Je rencontre les locaux, les expatriés, les touristes, les chiens affamés, les poules, les fous, les drogués et les artistes. La vie, en dépit des étrangetés animant le village, se montre plutôt douce.
Je tente de trouver mes marques, de me créer une routine. J’aime définitivement prendre du temps, prendre mon temps et développer un nouveau regard, celui que les courtes visites ne permet pas. Ici, il ne s’agit plus uniquement de voir, il s’agit de vivre surtout.
Je prends des cours de yoga face au lac (moi aussi je suis une petite blanche riche et conne) et commence à comprendre les superlatifs qui souvent le décrivent. Il faut bien reconnaître la saisissante beauté qui, chaque matin, éblouit et impressionne. Qu’importe l’humeur du ciel : sous les rayons rasants du soleil, la délicate brume ou les torrents de gouttes ; les volcans brillent.
Quand le vent ne s’est pas réveillé, que la surface du lac forme encore une plaque huileuse, je glisse dans l’eau et me délecte de ce moment généreux et exaltant. Je nage loin, finis par me retourner et contemple la solitude, le calme et les hauteurs qui prennent chaque jour des contours différents, toujours mystérieux, toujours secrets. Hors du temps, d’accord.
De son côté, le village, malgré la fin des ferias, continue de gueuler. Chaque occasion est une excellente raison de faire la fête : des élections, une messe en plein air, une cérémonie religieuse, une célébration mystique, un samedi… Les pétards ne s’arrêtent jamais vraiment, l’infâme musique non plus. Une amie utilise avec justesse l’expression « cache misère ». En effet, les danses n’ont pas la saveur de la joie, les haut-parleurs chantent faux. Ces événements viennent tromper l’ennui en augmentant tristement les problèmes sécuritaires. Et les gueules de bois. Le décalage avec la communauté d’expatriés, vivant sur la rive dans l’amour et la joie, me marque d’autant plus.
Nous avons retrouvé nos amis Anne-Sophie et Mathias et ensemble, foulons les chemins qui longent le lac.
Nous expérimentons également quelques mauvaises rencontres qui ne font que renforcer le sentiment dérangeant que nous ressentons quant à la sécurité autour du lac, à la pauvreté et à l’indifférence générale. Les bandits arpentent les chemins ombragés, machette à la main, pierre dans l’autres, prêts à dépouiller les touristes aventuriers. Les routes reliant les villages sont clairement dangereuses mais visiblement, ça ne gêne personne : ni les expat’, ni les flics, ni les locaux. La drogue, la sécurité, la pauvreté, l’alimentation… sont des problèmes de taille ici. Mais comment souvent, la corruption l’emporte, la cécité paraît plus acceptable.
Et en même temps, remettons les choses dans leur contexte : les Guatémaltèques, encore plongés dans une société passionnément patriarcale et souvent archaïque, subissent toujours les effets de la guerre civile et vivent la plupart du temps dans des conditions frôlant l’indécence. Le tourisme les nourrit mais tous n’ont pas compris de quelle manière.
A cela s’ajoute un souci qui, face à la malnutrition et l’insécurité, semble soudainement minime : la pollution du lac. A San Marcos, comme ailleurs autour du lac, pas vraiment de système fiable de traitement des déchets. Alors, chaque versant de colline, de montagne est tout simplement devenue une déchetterie. Et lorsque la saison des pluies se ramène (en ce moment même), le tout s’en va direction… le lac. De faibles actions sont menées, le sujet est réellement préoccupant. Pour la nature ET la santé des habitants.
Je comprends et puis je suis en colère et puis je ne comprends plus, je suis perdue. Les évènements négatifs qui sont venus perturber le cours tranquille de nos existences ont forcément modifié la perception de notre environnement. Je tente de lutter contre la subjectivité mais de toute évidence, c’est peine perdue.
Vraiment, le lac nous laisse perplexe. Nous le haïssons parfois et adorons le critiquer. Mais ne nous mentons pas : qu’on le veuille ou non, on s’y sent terriblement bien, le quitter semble compliqué.
À côté du banditisme et autres mésaventures, la vie suit son cours.
Les apéros s’enchaînent au Collectivo Mudra, le bar le plus cool de l’univers. Je bois des jus de papaye et fais la gueule quand je perds au Uno.
Les rencontres me remplissent et adoucissent la vision un peu dure que j’avais de San Marcos. Je ne sais pas si c’est cette histoire de vortex, mais l’énergie se révèle en effet fascinante. Je vibre notamment lors des Drum Circle organisés chaque mardi. Le rythme et la musique m’hypnotisent.
A Ahau, l’hostel de mon cœur, Veronica la mexicaine organise un incroyable Temazcal. C’est la première fois que je participe à ce type de cérémonie. Elle restera marquée en moi.
Au fil de mes discussions et échanges, si je ressens parfois de la solitude et des questionnements existentiels, je ressens surtout beaucoup d’altruisme, de douceur et d’humanité. D’autres formes de sociétés sont possibles, d’autres formes de vie le sont également. Et j’adore les découvrir, tenter de les comprendre.
Les voyages dans les villages voisins, notamment San Pedro et San Juan, me reconnectent à la culture guatémaltèque. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je m’y sens bien.
Alors voilà, je suis « sur » le lac depuis bientôt un mois et rien n’a jamais été plus flou et incertain que mon ressenti face à cet endroit captivant, mystique et magnétique. Si beaucoup de choses me révoltent chaque jour, je ne peux que me rendre à l’évidence : j’aime cet endroit. Comme piégée. Hypnotisée. Mais qu’est-ce que ce lac a que les autres n’ont pas? La question boucle.
Le lac Atitlan est finalement un reflet assez cruel de ce que représente le Guatemala : un pays encore ravagé par la pauvreté et la violence, un pays que le tourisme a décapité et sauvé, un pays aux décors sublimes couverts de plastiques, un pays aux habitants profondément bons et généreux, un pays qui fait rêver et reste encore et toujours, une terre de promesses. On l’aime ou on le déteste mais il ne pourra laisser que le voyageur pressé indifférent. Et moi, je suis tout sauf pressée.
Le lac Atitlan, quel spectacle.
BRAVO ma PRINCESSE! Beau texte , belles photos, un bien agréable moment à tes côtés si loin de la France et de Roncq en particulier.
Maman et moi attendons toujours IMPATIEMMENT tes articles. Certes, tu es notre fille chérie mais les balades proposées nous ravissent.
Personnellement, grâce à toi, j’apprends des tas de choses et tu sais combien je suis curieux de tout ce qui concerne les voyages.
MERCI ma fille de me faire voyager et de m’emmener loin par le biais de tes jolis textes . De plus, et là, chapeau Mademoiselle, tes photos sont superbes. Réalistes, elles me font rêver, me transportent et souvent, je m’imagine les faire en même temps que toi ( sûr que souvent, j’ouvrirai d’un diaphragme juste pour parfois éviter le contre jour dont je te sais très friande. ) en me souvenant de notre petite balade photo au mont Rouge et dans mon ancien collège d’Estaimpuis en ruine .
MERCI donc ma grande fille. Ton papou est TELLEMENT FIER de sa blogueuse voyageuse!
Je t’embrasse des milliards de fois . Profite un maximum mais TOUJOURS
en étant prudente.
TON PAPOU🏃♂️🏃♀️💙💚💛💜💗💖
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Comme un cadeau, une confidence, tu m’as soufflé dans le creux d’un SMS qu’un nouvel article m’attendait.
Avide de te retrouver, j’ai dévoré goulûment tous tes mots comme si chacun d’eux me rapprochaient de toi! J’ai parfois dû m’arrêter, me relire, ralentir le rythme effréné de ma lecture pour mieux apprécier ce nouveau rendez-vous ❤️
Et, une fois de plus, tu m’as ouvert les portes de ton univers peuplé de paysages fantasques, de rencontres improbables, d’émotions sucrées salées, parfois surprenantes, mais toujours plus vraies, plus sincères et plus bouleversantes !
Et si ta plume n’en finit pas de s’aiguiser, qu’elle m’offre avec une précision renversante les sensations qui te transportent et te bousculent , c’est maintenant ton cœur que je vois éclore comme une fleur à mesure tu donnes un sens à ton voyage.
Tu ne consommes rien mais tu reçois chaque chose comme un cadeau, sans aucune exigence. Tu regardes, tu observes, tu veux comprendre mais le voyage t’a appris la patience.
Tu contemples et tu remercies la nature pour ce qu’elle t’offre de plus beau. Tu cherches un sens à ce qui la blesse et la dénature comme tu cherches un sens à la misère humaine.
Tu finis par accepter que la beauté peut côtoyer la laideur et que l’homme peut être son pire ennemi.
Tu apprends que le voyage ne ment pas, qu’il te livre le monde tel qu’il est.
Et comme il est ton meilleur ami, tu lui confies aujourd’hui, que tu acceptes sa sincérité, sa transparence, les 2 qualités qui vous unissent et vous rassemblent.
Avec tout mon amour ❤️
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J’écoute donc et j’aime cette musique…merci pour ce voyage et ces magnifiques photos.
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Tes photos sont toujours autant magnifiques, artistiques.
Merci, continues ton partage 😜
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Ah ben non, je savais pas. Désolé pour toi. Je retourne finir ton article. En réagissant au fur et à mesure, j’ai l’impression de discuter avec toi. Ce qui me manque.
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Je viens de finir ton article. Enrichissant. Comme toujours. Merci pour tes mots et tes photos. A quand une playlist ? Love.
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